Invictus

 

Un film / A movie by Clint Eastwood

 

D’après le livre / from the book Playing the Enemy: Nelson Mandela and the Game that Made a Nation, de/from John Carlin

 

Avec / With Morgan Freeman, Matt Damon, Tony Kgoroge, Patrick Mofokeng

 

Clint Eastwood se bonifie avec le temps et en cette fin de carrière, soyons réalistes, il nous livre des oeuvres absolument éblouissantes, avec Gran Torino ou encore Million Dollar Baby.

Invictus est au-dessus de ces deux derniers, mais pour des raisons bien différentes.

 

Avec ce film, Eastwood s’attaque à l’Histoire avec un grand H, et pas n’importe laquelle, celle de l’accession de Nelson Mandela au pouvoir en Afrique du Sud et son obsession d’unifier le peuple sud-africain autour d’un symbole de l’apartheid : l’équipe de rugby des Springboks.

 

Si la rencontre entre le cinéaste américain et ce récit, adapté du livre de John Carlin, semble improbable, le résultat est pourtant immense.

 

Eastwood réussit à montrer un destin, celui d’un homme, d’une icône, sa lutte pour la réunification d’un peuple déchiré, mais il réussit également à réaliser un film sur le rugby, une première, et enfin à réaliser un spectacle d’envergure, saisissant.

 

Il y a tout d’abord le récit de Mandela, de sa libération, de son accession au pouvoir par les urnes, de cette aura dont il bénéficie après toutes ces années d’emprisonnement et de luttes pour que l’apartheid disparaisse enfin. L’écoute, le respect dont il bénéficie auprès du peuple vont lui permettre d’oser la réunification du peuple sud-africain, divisé par des décennies de racisme, de mort et de rejet de l’autre.

 

Face à la solitude de sa position, il va, à travers parfois d’actes insignifiants au premier abord, vers basculer doucement les esprits, construire pierre après pierre l’édifice d’un nouveau pays, symbolisé par de nouvelles couleurs.

 

Mandela est ici incarné par Morgan Freeman, qui livre sa plus belle performance depuis The Shawshank Redemption, à la fois humble et à la hauteur de son illustre personnage, tâche ardue s’il en était. Ne versant jamais dans la performance mais se cantonnant à la sobriété et à la justesse, il n’écrase pas le propos du film mais le sert avec brio.

 

Le second récit, c’est celui du peuple. Ce peuple sud-africain déchiré par l’apartheid, la pauvreté, la criminalité, le racisme quotidien et ancré dans des générations d’afrikaners. D’emblée Eastwood nous montre le fossé qui les sépare, par cette image à la fois simple et emblématique, les enfants noirs jouent au football sur un terrain rocailleux, les enfants blancs jouent au rugby sur une pelouse verte.

Ce symbole fort est celui que va chercher à abattre Nelson Mandela pour unifier son peuple autour d’un sport, d’un objectif commun.

En 1995, l’Afrique du Sud se cherche une identité, un nouveau drapeau flotte désormais, mais les esprits n’ont pas encore oublié, d’un côté comme de l’autre.

Forcés de travailler ensemble aux côtés de Mandela, des membres de l’ANC et des anciens de la garde présidentielle de De Klerk, vont apprendre à s’apprivoiser, après avoir été ennemis du temps de l’apartheid. Ce symbole est l’impulsion que souhaite donner Mandela à son pays, à son peuple.

 

Alors pour l’unifier, même un temps, il choisit le rugby, ce sport décrié par les noirs et adulé par les afrikaners, alors que la coupe du monde doit avoir lieu, en Afrique du Sud, en 1995.

Contactant leur capitaine, Francois Pienaar (interprété par Matt Damon), il va ainsi lui transmettre la force nécessaire pour emmener les Springboks le plus loin possible dans la compétition, déjouant ainsi les paris des professionnels.

Pour ceux qui s’en souviennent, cette coupe du monde avait effectivement un goût particulier, malgré les « Mandela, Mandela » scandés par le public blanc. Les français se souviennent de l’amère défaite sous des pluies torrentielles également.

Mais le pari tenté par Mandela, misant sur ce sport et cette coupe du monde, fut le bon. Les gens se prirent au jeu à l’instar de leur chef de file et même si cela n’apportait pas de réponse à tous les problèmes du pays, cela a permis d’apaiser certaines tensions et d’abattre un premier mur.

 

Eastwood réussit à filmer une tranche de vie humaniste, touchante, et en même temps il filme avec brio les scènes de rugby, filme le jeu comme une bataille pour l’union du peuple, avec le soupçon de dramaturgie nécessaire. A l’instar d’Oliver Stone dans Any given Sunday (L’enfer du dimanche), il fait la part belle au jeu et nous prouve une fois de plus qu’il sait filmer l’action.

Matt Damon est excellent également dans le rôle de Francois Pienaar, héros tout aussi symbolique dans cette épopée.

 

Invictus, ce poème écrit par Henley, accompagnant Mandela pendant et après son emprisonnement, exprime justement le propos du film et l’esprit animant le dirigeant sud-africain à ce moment crucial de l’histoire de son pays.

Aujourd’hui, le pays a toujours beaucoup de problèmes, la pauvreté, le SIDA, la criminalité, mais chaque évènement, comme la Coupe du Monde de Football qui y prendra place en 2010, permet d’abattre des barrières que l’on pense être infranchissables.

Par sa volonté, sa clairvoyance, Mandela avait compris que le sport pouvait réunir son peuple.

 

Invictus est d’ores et déjà un film incontournable de l’année 2010, et Mr Eastwood, continuez encore à nous offrir de si belles œuvres.

 

Arnaud Meunier

17/01/2010