Le Limier (Sleuth)

 

Un film de Joseph L. Mankiewicz

 

Avec Michael Caine, Laurence Olivier…

 

Le Limier de Joseph Mankiewicz, adapté de la pièce d’Anthony Shaffer, est un de ses films les plus remarquables, pour ne pas dire le meilleur, avec All about Eve.

 

Malgré les années, et avec le remake qu’il se prépare par Stephen Frears, le film n’a pas pris une ride et reste un grand classique du cinéma.

 

Le Limier raconte l’histoire d’un écrivain, Sir Andrew Wyke, auteur de romans policiers à succès. Original, sa maison l’est aussi avec ses trompe-l’œil, automates et jeux en tous genres. Mais Wyke a du mépris pour un homme Milo Tindle, l’amant de son épouse Marguerite. Celui-ci lui rend visite et Wyke lui propose un jeu : simuler le cambriolage de sa propre maison pour toucher l’argent de l’assurance… Milo, amusé, accepte…

 

Ce film est avant tout un modèle scénaristique. Sa passant entièrement dans un lieu unique, la maison de Wyke (à l’exception d’une ou deux scènes d’extérieur), le scénario est construit en plusieurs mouvements : la rencontre et l’affrontement ; le jeu ; la révélation de la supercherie et la vengeance de Milo pour terminer sur la « mort » de Wyke, sa défaite.

 

Dans le premier mouvement, la rencontre de Tindle et Wyke, le ton est sarcastique, chacun des deux protagonistes voulant faire valoir sa propre existence auprès de la femme qu’ils aiment tous les deux, Marguerite. Un affrontement d’hommes qui prend une tournure originale lorsque Wyke propose à Tindle un jeu étrange, cambrioler sa propre maison, emporter les bijoux de sa femme et ainsi toucher l’assurance.

Ici débute le second mouvement du scénario, où tout devient un jeu. Tindle se déguise en clown et les deux hommes retournent avec réflexion la maison, en prenant soin de ne pas détruire ce à quoi Wyke est attaché. Là tout est un amusement pour eux, au milieu des automates, des déguisements, du faux et du vrai.

Alors que le plan semble se dérouler de bonne manière, Wyke dévoile son dessein : tuer l’amant de sa femme Tindle. Ce qu’il fait malgré la pitié implorée par Tindle.

 

Wyke, joueur cynique, a amené Tindle a croire que son but était l’argent alors qu’il l’a piégé pour arriver à ses fins.

 

C’est la fin du premier acte du film.

 

Le second acte permet de juger de la qualité du scénario et de la pièce de Shaffer.

 

Wyke se trouve confronté à l’inspecteur Doppler, qui lui reproche d’avoir fait disparaître Tindle. Wyke n’en démord pas et livre lui-même la version de l’histoire. Tindle n’aurait pas été tué puisque la balle tirée était une balle à blanc. Mais l’inspecteur Doppler n’est pas persuadé de cette thèse et insiste… jusqu’à révéler lui-même qui il est vraiment : Milo Tindle !!!

 

Milo Tindle rend donc la monnaie de sa pièce à Wyke, en le prenant à son propre jeu des faux semblants, du pastiche, de la perversité humaine.

 

Wyke est choqué d’avoir été pris au piège d’un jeu qu’il a lui-même créé. Mais Tindle ne souhaite pas arrêter le jeu ici, et souhaite plonger Wyke dans la honte, la même honte qu’il a voulu lui infliger.

 

Tindle annonce alors à Wyke qu’il a tué son amante, et que celui-ci sera jugé meurtrier à moins qu’il ne découvre quatre pièces à convictions dissimulées dans son immense demeure… Un jeu macabre qui prendra fin avec l’arrivée de la police… et le dernier mouvement du film.

 

Dernier mouvement que nous ne révélerons pas ici puisqu’il clôt avec brio un film somptueux.

 

Adapter une pièce de théâtre au cinéma est toujours un exercice périlleux, cela peut être réussi ou complètement manqué, l’esprit de l’écriture perdant de sa saveur, la vivacité étant elle aussi moindre.

Mais Le Limier fait exception et sa transposition à l’écran par Mankiewicz est une complète réussite. Jamais le cinéaste perd le fil de l’intrigue ou égare un effet de mise en scène malencontreux pour servir l’intrigue. L’ensemble dégage une harmonie, et touche à la perfection.

 

Grâce aux comédiens, Laurence Olivier dans le rôle de Wyke et Michael Caine dans le rôle de Tindle, les personnages ne sont pas caricaturés et l’alchimie qui règne entre les deux comédiens illumine le film de bout en bout. Pour ces deux grands comédiens, l’exercice était périlleux mais ils s’en sortent avec un grand talent.

 

Le décor, les costumes, la mise en scène, l’interprétation, le scénario, le final… Le Limier ne commet pas de fausse note… Sans aucun doute l’un des films les plus brillants du cinéma.

 

Mankiewicz, dont ce fut le dernier film, termina sa carrière sur une œuvre qui montrait bien l’étendue de son talent. Pour rappel, le cinéaste réalisa All about Eve, qui est une adaptation libre de La Mouette de Tchekhov, fascinant regard sur le cinéma et les « guerres » de génération entre comédiens.

 

 

Un film qui peut se regarder des dizaines de fois sans que sa qualité n’en soit atténuée à chaque vision.

 

Si vous ne l’avez pas encore découvert, n’hésitez plus !!

 

Arnaud Meunier

04/05/2005