Les Patriotes

 

Un film d’Eric Rochant

 

Avec Yvan Attal, Richard Masur, Yossi Banai, Nancy Allen, Maurice Bénichou, Bernard Le Coq, Jean-François Stévenin, Emmanuelle Devos, Sandrine Kiberlain

 

Etrange destin pour ce film d’Eric Rochant… Sacrifié par la critique et le public à sa sortie en 1994, vilipendé pour son propos apparemment pro-israélien, Les Patriotes est pour l’un des films les plus audacieux et réussi du cinéma français des 20 dernières années. Un film qui peut se mesurer aux grands films américains d’espionnage.

 

Son plantage au box office mais avant tout auprès de la critique peut s’expliquer par le contexte politique de l’époque et le fait que le film n’aborde jamais le conflit israélo-palestinien. Pourtant là n’est pas le sujet du film et l’accueil reçu fût plus qu’injustifié.

 

Les Patriotes raconte le parcours d’Ariel, israélien vivant en France qui décide d’aller rejoindre le Mossad, les services secrets israéliens. Et découvrir le monde de l’espionnage, de la diplomatie parallèle, des manipulations, du mensonge et des vérités.

 

Le film est une plongée abrupte dans l’univers de l’espionnage où Rochant prend le temps de poser son sujet, de décortiquer les méthodes des services israéliens sans occulter les côtés sombres du métier d’agent secret. Il ne s’agit pas ici de lutter contre des criminels internationaux comme dans James Bond mais surtout du quotidien des agents, entre planque, recrutement de sources et rencontres improbables. Un univers où le jeune Ariel va grandir et apprendre sur les hommes et son pays.

 

Un agent secret est-il un patriote ? Un sujet qui demanderait des heures d’analyse…

 

Rochant, réalisateur tombé depuis aux oubliettes (réalisateur de Total Western, Vive la République !...), avait pourtant réussi un film qui peut se permettre la comparaison, voire surpasser bon nombre de films d’espionnage américains. Maîtrisé de bout en bout, tant sur le plan scénaristique que technique, Les Patriotes est un film dont la découverte est passionnante et qui captive jusqu’aux dernières secondes. Le destin d’Ariel se dessine au fil des missions, la première consistant à obtenir des informations sur la construction de centrales nucléaires dans des pays hostiles à Israël et la seconde, encore plus délicate, la récupération d’informations détenues par la NSA, l’organe le plus secret des Etats-Unis, par le biais d’un agent double.

 

La qualité de l’œuvre de Rochant doit beaucoup à l’interprétation sans faille des comédiens : Yvan Attal incarne Ariel avec une retenue et un sérieux impeccables. A ses côtés, un casting riche : Bernard le Coq en agent « appâteur » ; Jean-François Stévenin dans le rôle de la première source, un rôle ambigu et complexe ;  Sandrine Kiberlain, magnifique pute et femme fatale ;  Maurice Bénichou et Yossi Banai, sombres agents du Mossad ;  Richard Masur, la seconde source, remarquable et épatant, une performance splendide.

 

En s’intéressant de près au milieu de l’espionnage, plus précisément celui du fameux Mossad, l’un des services secrets le plus réputé du monde, Rochant s’est intéressé à ces hommes qui s’impliquent complètement dans cet univers. Laissant derrière eux familles et amis, une seconde vie commence, celle du Mossad, de ses règles, de ses engagements. Un engagement pour son pays, sa patrie, bien souvent avec un idéal pacifique derrière lequel pourtant les hommes s’abandonnent. Perdant parfois leur âme, leur raison, leur humanité.

 

Etrange destin donc pour ce film, qui rejoint le cercle des grands films passés inaperçus, malheureusement avec les conséquences que cela entraîna, tant pour le réalisateur Eric Rochant que les comédiens dont la participation à ce film est bien souvent occultée. Un film au destin tragique, qui malgré tout mérite non pas un détour mais une réhabilitation.


Ce film fût tourné avec de grands moyens, et peut s’enorgueillir de rivaliser avec le cinéma américain. Destins implacables, fatalité et happy-end, un film mêlant anglais, français et hébreu, 2h30 de plaisir cinématographique, chose bien trop rare dans le cinéma français.

 

Alors que Munich, de Steven Spielberg, s’intéresse également aux services secrets israéliens, il est plus que probable que le réalisateur américain se soit inspiré du film de Rochant dans son traitement et la manière dont les services sont dépeints.

 

Alors que le Mossad garde aujourd’hui encore une aura qu’il est difficile de cerner et de réellement capturer, Rochant a réussi à saisir l’essence du métier d’espion, comme Schoendoerffer dans Agents Secrets, sans esbroufe ni effets spéciaux inutiles.

 

Du grand cinéma.

 

Arnaud Meunier

15/01/2006