Manderlay
Un film de Lars von Trier
Avec Bryce Dallas Howard, Isaac de Bankolé, Willem Dafoe, Danny Glover, Lauren Bacall, Jean-Marc Barr…
Pour qui a découvert Dogville en 2003, que l’on aime ou pas le style nouveau du cinéaste danois, on ne peut rester insensible à cette « suite », second volet d’une trilogie consacrée à l’Amérique, qui s’achèvera avec Washington (tournage prévu seulement en 2007).
Pour qui découvre seulement aujourd’hui la mise en scène si particulière de Von Trier, Manderlay peut sembler désarçonnant, troublant, d’autant plus que le film lève encore bien plus de questions quant à la société contemporaine, la violence, le racisme, une œuvre qui peut se lire et se relire à des dizaines de niveaux différents.
Manderlay parle d’une jeune femme, Grace, dont le père gangster l’a récupéré de Dogville, où elle était réfugiée. Sur les routes du sud de l’Amérique des années 30, ils croisent Manderlay, une plantation de coton où l’esclavage existe toujours, mais sous une forme quasi-volontaire. Troublée, Grace décide une nouvelle fois de défier son père et de rester à Manderlay pour rendre à ces gens, de pauvres noirs esclaves, la dignité.
Passons sur la forme du film qui reprend le concept, extrêmement théâtral, de Dogville. Pourtant, c’est un réel plaisir de retrouver cette manière de filmer, ces éclairages qui s’allument ou s’éteignent, la dimension que réussit à donner Von Trier de ce décor vide et infiniment réduit.
Car le sujet du film, l’esclavage, a des échos bien plus profonds que l’on ne pourrait penser. Il ne s’agit pas seulement pour Von Trier de filmer la situation d’une plantation en 1933, muée par un code établi (Mam’s Law), de dresser le constat d’un racisme primaire qui régnait encore envers la communauté noire américaine, mais il s’agit avant tout de sonder l’âme des hommes, et par extra-polation de dresser le constat de notre société contemporaine, en 2005, avec ses travers : pouvoir, argent, ségrégation , sentiment de culpabilité éternel de la communauté blanche bien pensante envers les communautés défavorisées (qu’elle soit noire, asiatique, arabe ou autre).
A travers le regard de Grace, naïf,
innocent, le cinéaste cherche à provoquer notre propre réaction, à ne pas nous
laisser suivre les images sans que cela provoque quelque chose de profondément
troublant et dérangeant chez le spectateur. Car très vite, c’est à Grace que le spectateur s’identifie. Que ferais-je à la
place de Grace ? Est-ce que je comprends
vraiment le problème tel qu’il est et non pas tel que je le vois ?
Des interrogations qui s’amplifient au fil des chapitres (8 au total), comme des pages d’Histoire qui s’enchaînent.
Le débat, philosophique, sur la liberté des hommes et sa perception est réellement au cœur de Manderlay et suscitera sans aucun doute de multiples réactions et des avis divers chez les spectateurs et critiques. L’auto-détermination, le racisme, la liberté, autant de thèmes qui sont toujours autant d’actualité.
A noter que le final, éblouissant, maîtrisé, brutal est le sommet de Manderlay, preuve de la qualité de la réalisation de Lars Von Trier, réellement maître de son sujet.
La qualité de Manderlay vaut beaucoup à ses comédiens, certains présents dans Dogville, d’autres nouveaux dans le monde du cinéaste. Bryce Dallas Howard a remplacé Nicole Kidman dans le rôle de Grace et lui apporte une fraîcheur, une luminosité certaine. A ses côtés, Isaach de Bankolé interprète Timothy, personnage central de l’histoire et de la vie de Manderlay, Willem Dafoe incarne le père de Grace et enfin Danny Glover, magnifique, dans le rôle de Wilhelm, le sage de la communauté.
Manderlay pourra exaspérer certains par sa forme et interroger d’autres sur son fond, mais Manderlay ne vous laissera pas indifférent comme Dogville l’avait déjà fait.
Une qualité rare dans une production contemporaine, celle se soulever des débats qui en dépassent largement le cadre. Après tout, le cinéma est également là pour nous éclairer sur notre propre vision des choses, notre propre vision du monde.
Arnaud Meunier
07/11/2005