Mary

Un film d’Abel Ferrara

 

Avec Juliette Binoche, Forest Withaker, Matthew Modine, Heather Graham, Marion Cotillard

 

Le réalisateur de Bad Lieutenant, l’enfant terrible du cinéma américain, dont les films sentent le souffre, réalise avec Mary une œuvre complexe et mystique.

 

Il s’attache à l’histoire de trois personnes : Marie, une actrice qui vient d’incarner Marie-Madeleine pour un film intitulé « Ceci est mon sang » ; Tony, le réalisateur du film, qui se débat pour que son film soit accepté en tant qu’œuvre libre et Ted Younger, animateur d’une émission sur la religion qui va croiser les deux premiers.

 

Mary est tout d’abord une réflexion profonde sur la place de la religion dans notre société et à plus forte raison dans la société américaine, où celle-ci tient une importance croissante dans la vie de la population. Ferrara questionne, à travers notamment les théologiens qui défilent sur le plateau de l’émission religieuse qu’anime Ted, les fondements des croyances populaires actuelles, comment les discours, évangiles ou légendes ont été écrites et ré-écrites.

 

Il parle aussi de l’impact de la religion sur les personnes elles-mêmes, comment une comédienne peut soudain avoir une révélation en incarnant Marie-Madeleine ou un homme qui parle de foi ne sait pas lui-même comment interpréter sa relation avec Dieu. Une réflexion qui malheureusement perd souvent son spectateur en raison d’un montage hasardeux et désordonné, qui dessert l’ensemble du film.

 

En abordant le thème des émissions religieuses, on ne peut s’empêcher de penser aux prédicateurs qui ont envahi les écrans américains et qui montrent l’inquiétante dérive extrémiste de la société qui conduit à une lutte idéologique entre le christianisme, le judaïsme et l’islam entre autres. Comme le dit si bien Tony, le réalisateur du film qui va changer la vie de Marie, faire un filme sur Jésus « ça peut rapporter un milliard ». Un écho direct au film de Mel Gibson, La Passion du Christ, qui atteignit des records au box office.

 

On pense aussi au film de Scorsese, La Dernière Tentation du Christ, qui causa également beaucoup de polémique à sa sortie. Car il bousculait à sa manière la pensée unique, l’unique manière d’interpréter les écrits religieux, qui ne sauraient toucher à une seule et unique vérité.

 

Les trois personnages vont se confronter à la religion et son sens, ses sens. Marie le cherchera sur les routes de Jerusalem, là où les tensions entre religieuses sont exacerbées ; Ted lui cherchera la rédemption auprès de Dieu après que sa femme accouche et soit en danger comme son enfant, alors qu’il la trompe ; enfin le réalisateur, Tony, au-delà des velléités économiques que son film peut entrevoir, se bat également pour que sa liberté, celle d’exprimer sa propre vision de la religion, soit respectée et entendue, et non bannie, censurée.

 

Le film de Ferrara est extrêmement réfléchi et laisse le soin au spectateur de se faire également son opinion de la religion et de son rapport à l’homme.

 

Si le fond ne souffre d’aucune faiblesse, la forme est plus discutable. On perd parfois le fil de son histoire dans les méandres de « Ceci est mon sang », le film que Marie a tourné, même s’il était essentiel d’y faire référence pour comprendre le parcours de la jeune femme. Le film aurait gagné en qualité en se stabilisant plus, alors qu’il est pourtant bien moins fougueux que d’autres films de Ferrara.

 

L’interprétation des comédiens fait la force du film. Juliette Binoche y est remarquable, fragile mais également forte, de par les croyances qu’elle développe ; Forest Withaker, trop rare, est très bon dans le rôle du présentateur de l’émission religieuse, du mari adultère et coupable, qui cherche la rédemption auprès d’un Dieu dont il parle en permanence mais auquel il n’a jamais parlé. Enfin, Matthew Modine surprend par sa prestation, à la fois en Jésus de son propre film, en réalisateur qui est déconcerté par l’accueil de son œuvre, qui le dépasse plus que lui ne la maîtrise.

 

Mary est un film à découvrir, que vous soyez croyant ou pas, vous en ressortirez avec beaucoup de questions.

 

Arnaud Meunier

24/12/2005