Syriana
Un film
de Stephen Gaghan
D’après See No
Evil, de Robert Baer.
Avec George Clooney, Matt Damon, Jeffrey
Wright, Chris Cooper, Christopher Plummer, Amanda Peet…
Lorsque Robert Baer, ex-agent de la CIA, publia See no Evil, une partie du “mythe” de la CIA fût révélée au grand public. Malgré certains passages du livre qui ne purent être révélés, certains noms, ce récit de l’intérieur, du réel et non plus du fantasme, fascina et fit peur à la fois. Une diplomatie souterraine dont l’existence est connue, mais dont on est loin de s’imaginer les ramifications, les actions et de comprendre ses desseins.
En s’inspirant de ce récit pour sa seconde réalisation, Stephen Gaghan, scénariste de Traffic, de Steven Soderbergh, aborde un sujet extrêmement complexe et difficile à retranscrire à l’écran.
Plus précisément, il s’intéresse ici aux enjeux pétroliers des Etats-Unis au Moyen Orient, et sa nébuleuse économico-politique. Des enjeux qui dérivent depuis longtemps dans la corruption généralisée, les faveurs et la manipulation de la politique… sans compter les morts que cette politique souterraine sème un peu partout.
Et c’est à travers la vie d’un agent « ordinaire » que Gaghan raconte son histoire, cet agent c’est Bob Barnes, à qui l’on demande de faire disparaître le futur héritier d’un pays du Golfe aux ressources pétrolières stratégiques au profit de son frère, cupide et avide de pouvoir. Mais il se rend vite compte de la manipulation dont il fait l’objet, comme un pion déplacé pour masquer quelque chose. Il se retrouve alors à l’écart des affaires, mis dans un coin, derrière un bureau.
Autour de lui, les affaires s’agitent, un avocat tente de dénouer les nœuds d’une affaire de corruption après la fusion de deux grands groupes pétroliers alors qu’un homme, père de deux enfants voit de bonne augure le fait de devenir conseiller économique du prince héritier d’un des pays les plus riches du monde, malgré la perte d’un ses fils lors d’une réception organisée pour l’anniversaire du roi.
Un monde où s’entremêlent les enjeux politiques, économiques et le choc des cultures.
Disons-le, Syriana n’est pas un film forcément très abordable pour qui n’a pas déjà une conscience et une connaissance des problèmes géo-politiques moyen-orientaux et de la politique étrangère des Etats-Unis. Ce film foisonne d’une mine d’informations qu’il est parfois difficile de suivre si vous n’avez pas au préalablement lu les œuvres de Baer. Mais il n’en est pas pour autant élitiste et incompréhensible.
Il ne fait que refléter la complexité de ses rapports entre argent et politique, au cœur de la bataille pour l’énergie. Il n’en est pas pour autant inintéressant, bien au contraire. Il révèle le monde tel qu’il est, simplifiant parfois mais sans perdre le ton juste.
Le casting du film a de quoi impressionner : George Clooney incarne Barnes, l’agent de la CIA qui se retrouve dans la tourmente, un rôle physique pour Clooney, qui une fois de plus montre son engagement dans des films politiques ; Matt Damon, impeccable dans le rôle du père de famille dépassé et enivré par l’argent ; Jeffrey Wright, encore une fois caméléon, se glisse dans la peau de l’avocat. A leurs côtés, des seconds rôles bien choisis : Christopher Plummer, Chris Cooper, Amanda Peet, Alexander Siddig…
La richesse du casting et la qualité de l’interprétation apportent à Syriana un cachet d’authenticité qui devait être afin de ne pas dénaturer l’histoire et rester prêt du récit de Baer.
La réalisation de Gaghan est appliquée, rappelant bien évidemment la mise en scène de Traffic. Les plans sont longs et prennent le temps d’exposer leur finalité propre, ce n’est pas un film d’espion qui explose dans tous les sens, mais un vrai film politique, exposant ce qui est aujourd’hui encore la politique internationale des Etats-Unis, mais pas seulement. La guerre du pétrole aura bien lieu, elle a déjà commencé depuis longtemps au Moyen Orient et dans le reste du monde.
Syriana est un éclairage parmi d’autres, avec un regard parfois désabusé et pessimiste sur « l’état du monde ». Mais un regard empreint de réalisme pour un film marquant, et un réalisateur qui se trace une voie dans le paysage cinématographique américain.
Un film qui est une photographie, un concentré de notre monde moderne. Et rien que pour cela, ne le manquez pas !!
Arnaud Meunier
18/02/2006