Last Days

 

Un film de Gus Van Sant

 

Avec Michael Pitt, Lukas Haas, Asia Argento…

 

Les deux derniers films de Gus Van Sant, Gerry et Elephant, étaient inspirés de faits divers tragiques, sur lesquels le cinéaste posait un regard particulier, distancié et pourtant profond. Sans juger les hommes, ni les actes, sans donner de réponses ou d’explications, il filmait cette réalité fictionnelle avec grâce.

 

Last Days, qui vient compléter cette trilogie tragique, évoque les derniers jours de la vie de Kurt Cobain, leader du groupe Nirvana, véritable mythe du rock depuis sa mort en 1994 à l’âge de 27 ans.

 

Last Days n’est pas un biopic, Van Sant s’est inspiré de la mort de Kurt Cobain, de cet homme torturé et seul, pour créé le personnage de Blake, musicien héroïnomane qui s’est échappé du centre de désintoxication où il était pour se réfugier dans son monde, et mourir.

 

Le cinéaste, comme pour ses deux précédents films, ne cherche pas à donner des réponses claires sur les raisons de ce drame, l’abandon d’un génie, sa solitude alors qu’il était au sommet de sa gloire. Avec cette approche artistique particulière, le spectateur peut parfois être dérouté de ce « non parti pris ».

 

Pourtant, l’adéquation avec le spectateur est totale.

Le film débute par une longue ballade, le retour de Blake dans sa maison, là où il va passer ses deux derniers jours. Une ballade hypnotique, où Blake murmure inlassablement. Puis il revient dans sa maison, qu’il partage avec quelques marginaux. Là il va errer, se cacher, se méfier des gens qui viennent, par peur d’être emmené de force dans le centre de désintoxication.

 

Puis, il va s’isoler, disparaître et vider son cœur, avant de s’évanouir à jamais.

 

Last Days traite de sujets très différents : le succès, la drogue, la dépression, la solitude, l’abandon, le génie. Car Blake/Kurt était un génie, qui n’arrivait pas à supporter sa vie et qui la jetait sur le papier, dans la musique. D’où la force des textes du groupe, de l’impact sur les fans, sur le public. « In utero », l’un des albums du groupe aurait dû s’appeler originellement « I hate myself and I want to die », un cri du cœur de Cobain qui n’eût pas assez d’écho pour empêcher la fatalité, sa mort dans une solitude insondable.

 

Mais avant que la mort n’emporte Blake/Kurt, le chemin est long. Blake, drogué, torturé, erre dans sa maison, joue avec la carabine qu’il a, se nourrit plus qu’il ne mange réellement, joue de la musique, écrit et lorsqu’il joue vide une dernière fois son cœur et son âme, qu’il n’arrive pas à sauver du destin.

 

La mort inéluctable plane jusqu’à la tragédie, comme elle planait déjà sur Gerry et Elephant, un chemin funèbre qui ne laisse pas d’espoir. On aimerait voir Blake suivre ses amis, se révolter, mais il est déjà trop tard, son âme est déjà morte, ne reste que son corps, cette enveloppe charnelle qu’il détruit petit à petit.

 

Van Sant utilise nouvelle fois de longs plans, purs, qui sont la narration même du film. De la longue ballade qui ouvre le film à l’errance de Blake/Kurt dans la maison, l’ensemble bien que simple est aussi très bien monté, avec une alternance de retours en arrière pour changer le point de vue ou découvrir une autre partie d’une scène, comme pour nous montrer et nous faire comprendre qu’un morceau de vérité n’est jamais la vérité elle-même, qu’une vision de la vie ne peut être que morcelée et interprétée de différente manière.

 

Pour incarner l’icône Kurt Cobain, Van Sant avait besoin d’un acteur capable de dégager une force semblable à celle que le musicien dégageait à travers sa musique et sa vie, quelqu’un capable de supporter le rôle et évidemment la comparaison. Michael Pitt fait honneur à Kurt Cobain. Musicien lui aussi, mais aussi rebelle et passionné, il dégage une fascination étrange. La ressemblance physique est indéniable et Michael Pitt fait passer tout le malaise de Cobain par le regard, par ses pas chancelants, par ses murmures. Mais Pitt transcende aussi Cobain en lui offrant un morceau qui aurait pu être écrit par le leader de Nirvana, « Death to Birth », qu’il interprète avec rage, avec passion. Une scène qui résume parfaitement le malaise de Cobain, ce génie qui s’exprimait avec sa rage, et qui est mort avec celle-ci, sans que quelqu’un puisse percer le mystère de son âme et ce malaise (dû à la célébrité, dû à la drogue et sans doute beaucoup d’autres choses..) qui l’emmena loin de la vie.

 

Comme un prélude à sa mort, Blake regarde partir les uns après les autres ceux qui sont près de lui, ses « amis » colocataires, son groupe qui lui parle au téléphone mais qu’il n’entend plus, ces prêcheurs et ce représentant des pages jaunes qui viennent et repartent…

 

Puis l’isolement final, dans un abri de jardin, où son corps quitte définitivement la vie, mais où son âme trouve enfin la rédemption. La ballade des trois jeunes gens dans leur voiture et ces quelques notes jouées sur une guitare, sont les symboles de l’errance que la mort que Cobain suscita dans le monde de la musique, auprès des fans. Ces gens n’étaient pas ses amis, mais ils savaient quel génie était Blake.

 

Si Van Sant est parti de cette mort tragique, toujours l’objet de différentes hypothèses (meurtre ou suicide), et a construit une œuvre de fiction, le film n’étant pas exactement la reconstitution des derniers jours de Cobain, autour desquels ils restent beaucoup de zones d’ombre, Last Days reste pour autant un film fascinant, tant sur le plan esthétique, scénaristique, qu’émotionnel. C’est un voyage au cœur d’un drame où nous emmène le cinéaste.

 

Récemment, Locataires, de Kim Ki-duk, fascinait lui aussi par son silence et cette peinture émotionnelle, sensible, où l’image vit et vient supplanter le dialogue. Van Sant et Kim Ki-duk, deux cinémas, deux continents, une même passion et une émotion commune.

 

Si Last Days partagera le public et les critiques, les fans de Cobain aussi sans doute, ce film restera toutefois comme l’un des hommages les plus personnels à ce génie de la musique, qui révolutionna le rock au début des années 90.

 

 

Alors, si vous aimez le cinéma, si vous aimez la musique… courrez voir Last Days !!

 

Arnaud Meunier

14/05/2005