Printemps, Eté, Automne, Hiver… et Printemps (Bom yeoreum gaeul gyeoul geurigo bom)
Un film de Kim Ki-duk
Avec Oh
Young-su, Kim Ki-duk, Kim Young-min, Seo Jae-kyeong, Ha Yeo-jin…
Pour celui ou celle qui découvre ce film de Kim Ki-duk, la première impression qui en ressort est la sérénité. Comme l’évidence d’une vie faite au service d’un idéal.
Printemps, Eté… raconte l’histoire d’un maître coréen, vivant sur une maison flottante au creux d’une vallée isolée de Corée du Sud. Il apprend à son très jeune apprenti à vivre, connaître la nature, suivre les préceptes bouddhistes pour guider ses choix.
Lorsqu’une jeune fille vient passer quelques temps pour se refaire une santé, le jeune moine tombe amoureux. A son départ, il s’enfuit pour la rejoindre. Laissant son maître seul.
Le film s’égrène comme les saisons de son titre. Chacune symbolise l’étape d’une vie, une étape de l’histoire.
Printemps,
Les deux portes en bois peint s’ouvrent sur le lac où l’on aperçoit au loin la maison flottante du maître. L’apprenti est très jeune et en plein apprentissage des choses de la vie, de la nature qui l’entoure, sous l’œil observateur et critique du maître.
L’apprenti vit en harmonie avec une nature qu’il conquiert, poissons, serpents, grenouilles ou autres. Il apprend grâce à son maître que la souffrance faite aux autres est aussi la souffrance que l’on s’inflige à soi-même avec le temps. Une douleur qui ne peut nous quitter, un regret.
Pour ce tableau sans cesse impressionniste, le cinéaste, également peintre, joue avec les couleurs chatoyantes, la nature en fleur, et souligne de couleurs ses images. Les portes en bois s’ouvrant sur le ponton où vient se ranger la barque lors de périples sur la terre ferme est également la porte sur un autre monde, celui où le matérialisme, le consumérisme, n’existent pas, où seule l’harmonie avec le monde naturel qui entoure le maître et l’apprenti a ses droits.
Le jeune apprenti est au printemps de sa vie, dans la période d’apprentissage, de découverte d’un monde qui l’entoure et de soi-même.
Eté,
L’été est arrivé, l’apprenti a grandi. Agé maintenant d’une quinzaine d’année, il va découvrir les émotions de son cœur et de son corps.
Son maître continue de suivre son apprentissage, en lui laissant prendre les décisions de sa vie.
Mais un événement va venir troubler la quiétude de cette vallée si paisible. Une jeune fille malade et triste est amenée par sa mère auprès du maître avec l’espoir qu’elle guérisse auprès du maître et de cette vie monastique.
Mais le jeune moine va être perturbé par cette venue. Le corps de la jeune fille l’attire, et le désir devient plus grand. Un désir qui sera finalement partagé par la jeune fille, qui retrouvera sa joie de vivre.
Le maître ne voit pas d’un très bon œil cette relation entre son élève et la jeune fille, car elle conduit le jeune homme à être esclave de ses désirs. Alors qu’il décide de renvoyer la jeune fille auprès de sa mère, puisqu’elle est guérit, le jeune moine fuit pour la rejoindre, triste de perdre l’unique amour de sa jeune vie.
En partant, il emporte avec lui le bouddha de son maître avec l’espoir de ne pas oublier ses préceptes. Il emporte également le coq, l’animal de compagnie du maître, pour le manger sans doute, où pour l’éloigner du maître.
L’été est la saison de la déraison, celle de l’adolescence, de ses errances, de ses erreurs, de ses épanouissements aussi. Dans un décor sans cesse plus beau, les corps s’unissent à même le sol, sur la pierre, là au bord des cascades, des eaux isolées dans les montagnes. Là où la nature est à l’unisson des hommes.
Automne,
Le temps a passé depuis le départ du jeune moine. Le maître découvre par hasard dans une coupure de journal un article consacré à son ancien élève, auteur du meurtre de sa femme. Un petit chat blanc tient compagnie au maître dorénavant.
L’élève vient se réfugier auprès de son maître, avec l’envie d’expier ses souffrances, ses erreurs. Le maître essaye de le remettre dans le droit chemin, lui rappelant les préceptes simples du bouddhisme, oublier le spirituel pour le naturel.
Deux détectives viennent chercher l’élève pour l’emmener en prison. Mais nul besoin de violence pour l’arrêter. Avant de partir en prison, l’élève s’acquitte d’une dernière tâche pour purifier son âme, graver dans le bois ce que son maître a peint (un sutra Pranjaparpamita). Le moine grave dans le bois tout un jour et toute une nuit, pendant que les policiers, seuls personnages portant un nom dans le film, attendent en retrouvant eux aussi une certaine paix, grâce au cadre magique du lieu.
Lorsque les deux policiers emmènent enfin le moine, ils partent avec le petit chat blanc qui rejoint la terre.
Le maître, resté seul, peut maintenant terminer sa vie en paix, se donnant la mort par immolation dans une scène magnifique, où juché sur la barque et un tas de bois, il dérive en flammes. Il sait qu’il a transmis à son élève tout son savoir et que celui-ci devra le transmettre à son tour.
Les portes en bois se referment.
Hiver,
Les portes s’ouvrent à nouveau sur le lac gelé où trône toujours la maison flottante du maître. Mais celui-ci n’est plus là. L’élève, après plusieurs années en prison, revient sur le lieu de son enfance pour terminer le cycle de sa vie spirituelle. Il sait que son maître est mort, dans la barque prise maintenant dans la glace de l’hiver.
L’élève lui rend un dernier hommage, sculptant un bouddha dans la glace et joignant à celui-ci quelques légers restes du corps de son maître. Le bouddha disparaît sous les eaux glacées des montagnes, rendant ainsi à la nature l’âme de son maître, pour la purifier à jamais.
Le lieu abandonné depuis longtemps redevient le lieu spirituel qu’il fut.
Une jeune mère amène son très jeune enfant dans le noir de l’hiver, le visage masqué par un foulard. Elle pleure et finit par laisser son enfant à l’élève devenu maître à son tour. Alors qu’elle repart, elle disparaît sous les eaux glacées du lac.
Le jeune maître décide de gravir la montagne avec une statue de bouddha et surtout un poids attaché à son dos, une manière de se rappeler le poids de ce qu’il a fait. Ce poids, cette souffrance, il l’abandonne au sommet de la montagne avec la statue de bouddha, dominant et veillant sur ce lac où trône fièrement la maison flottante.
…et Printemps
Les portes s’ouvrent une dernière fois sur le lac, qui a retrouvé ses couleurs printanières. Le maître a vieilli, l’enfant a grandi et est devenu le jeune élève à son tour.
Le maître lui transmet donc le savoir appris lorsqu’il était lui aussi un disciple, mais aussi le savoir de son expérience, de sa vie.
Le calme retrouvé, la sérénité, les préceptes d’un enseignement bouddhiste mais avant tout naturel, tourné vers celle qui nous a enfanté et qui nous reprend à la vie.
Chaque tableau utilise les couleurs naturelles pour illuminer le récit, utilisant même un animal pour symboliser la période de la vie (le coq pour l’adolescence, le chat plus tard). Des touches impressionnistes qui viennent s’ajouter à une photographie, une esthétique extrêmement soignée.
Le temps passe paisiblement et on se laisse aller à cette sérénité retrouvée, cette bulle d’oxygène, de vie si simple, si évidente.
La musique est elle aussi extrêmement soignée, légère, douce, ne venant pas alourdir un récit qui se veut avant tout proche de la nature, simple et évident.
Printemps, Eté… est un film de sagesse, un récit fascinant d’une beauté tant esthétique que spirituelle. Kim Ki-duk touche à une perfection qui s’est confirmée avec le touchant Locataires.
Le film est très silencieux, le dialogue devient superflu, une harmonie complète avec les préceptes du film, ce rapprochement avec notre nature.
Leçons de vie se succèdent sans pour autant devenir des leçons de morale lourdes et maladroites.
Si vous n’avez pas encore succombé au voyage auquel vous
invite ce film de Kim Ki-duk, laissez vous emporter….
Arnaud Meunier
24/06/2005