Munich
Un film de Steven Spielberg
D’après l’œuvre de George Jonas, Vengeance
Avec Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz, Geoffrey Rush, Mathieu Amalric, Yvan Attal, Michael Lonsdale, Valeria Bruni-Tedeschi, Marie-Josée Croze…
Spielberg l’a souvent répété. S’il n’avait pas été cinéaste, il serait sans doute devenu professeur d’histoire. Pour notre grand bonheur, la pellicule lui a sourit et il nous ravit depuis près de 30 ans.
Après La Liste de Schindler, auréolé de succès, Spielberg revient sur une autre période sombre de l’histoire du XXème siècle : la prise d’otages des athlètes israéliens durant les Jeux Olympiques de Munich, en 1972, par le groupe terroriste Septembre Noir.
La prise d’otages tourne au massacre suite aux erreurs de la sécurité allemande. Tous les otages sont tués.
Israël, pays nouveau et menacé en permanence en raison de son occupation des territoires palestiniens, décide de répondre officieusement en lançant l’opération Colère de Dieu. Cette opération du Mossad, les services secrets israéliens, a pour mission de tuer les 11 personnes soupçonnées d’avoir participées à l’élaboration de la prise d’otage.
Cette opération clandestine est confiée à une équipe d’agents européens, sous la direction d’un jeune agent, Avner (nom d’emprunt). Leur macabre voyage européen débute.
Munich se base sur les faits réels de l’opération Colère de Dieu, qui assit la réputation redoutable des services secrets israéliens, qui continuent encore aujourd’hui de fasciner. Car le dévouement à Israël est avant tout un dévouement à la communauté juive du monde, une allégeance à une cause religieuse qui explique la passion et l’engagement des hommes.
Munich débute par la prise d’otages des athlètes, au sein du village olympique de Munich. Retransmise sur les chaînes du monde entier, cette prise d’otages, spectaculaire, eut un coup de théâtre extraordinaire. Les athlètes annoncés comme sains et saufs par la télévision furent ensuite confirmés décédés sous les balles des terroristes, piégés par les forces de sécurité allemande. La reconstitution de Steven Spielberg, entrecoupée des images d’archives, est sobre mais très minutieuse. Froide et effrayante.
Le réalisateur enchaîne ensuite avec l’opération Colère de Dieu. Jouissant d’une liberté totale de mouvement, de moyens, l’équipe travailla avec notamment avec une organisation française, Le Group, qui lui apporta les informations ainsi qu’une aide logistique précieuse sur le territoire européen. Cette organisation, chapeautée par un ancien résistant, appelé « Papa », permit de retrouver plusieurs cibles.
Si l’opération fut un succès dans son ensemble, il y eut toutefois des ratés, des innocents blessés ou tués, dommages collatéraux d’une guerre sans merci. Le but de cette opération, au-delà de l’assassinat des membres de Septembre Noir, était également d’avoir un retentissement dans le monde. L’utilisation d’explosifs puissants plutôt que des assassinats à l’arme blanche ou par balle se devait d’être un signe fort envoyé à Septembre Noir, qui en retour fit la traque des agents du Mossad et multiplia les opérations (détournements d’avions…).
La réussite de Munich vient du fait que Spielberg ne cherche pas à juger les intentions des hommes ayant participé à ces opérations, d’un côté comme de l’autre. Mais il filme leurs doutes, leurs peurs, leurs craintes de ne pas être dans le vrai.
Milieu au combien sombre et affranchi de lois, de morales, l’espionnage et ses rouages, ne pas s’y perdre est illusoire.
Spielberg a réunit un casting impressionnant pour évoquer Munich :
- Eric Bana interprète Avner, jeune homme plutôt inexpérimenté, choisi pour ses origines européennes et sa maîtrise de l’allemand. Confronté à un choix difficile, celui de laisser sa famille, son enfant qui va naître pour une opération dangereuse, où il peut y laisser la vie, son âme aussi. Tout en retenue, Eric Bana nous montre son talent de comédien au service d’un réalisateur d’envergure tel Spielberg. Décontenancé par l’enjeu de sa mission, Avner doute et hésite, se remet en question.
- Daniel Craig, Mathieu Kassovitz, Ciaran Hinds, Hanns Zischler : ils forment avec Avner le reste de l’équipe chargée de mener à bien l’opération Colère de Dieu. Chacun avec sa spécialité (voitures, faux-papiers, explosifs…), ils vont être l’unité, le moteur qui va permettre à l’opération de réussir. Complémentaires, les comédiens le furent également. Daniel Craig, futur James Bond, y est impeccable, ce qui conforme son talent révélé par Layer Cake entre autres ; Mathieu Kassovitz y est touchant de fragilité dans le rôle du marchand de jouets, artificier à ses heures, un plaisir de le revoir de ce côté de la caméra ; Ciaran Hinds et Hanns Zischler complètent l’équipe avec des interprétations très bonnes, plus convenues toutefois.
- Geoffrey Rush : incarnant Ephraïm, le contact de l’équipe au Mossad, identifié plus tard comme étant Harari. Geoffrey Rush (The Life and Death of Peter Sellers) est encore une fois excellent, avec un personnage à double face, celle humaine et proche de son équipe, l’autre plus étatique et militaire du Mossad.
- Mathieu Amalric : incarnant Louis, de l’organisation Le Groupe, il sera le contact principal de l’équipe en Europe, fournissant les informations cruciales concernant la localisation des cibles et étant l’appui logistique pour les opérations elles-mêmes. Mathieu Amalric, brillant comédien de Rois et Reine, couronné à juste titre d’un César pour son interprétation, montre une fois de plus l’étendue de son talent. Un rôle bouillonnant, à la fois sombre et enjoué.
- Michael Lonsdale : trop rare sur nos écrans dans un premier rôle, le grand Michael Lonsdale joue ici le rôle de Papa, le chef du Groupe. A l’image de son fils Louis, il a ses convictions et le sens de la protection de ses affaires, sans pour autant être dénué d’un humanisme certain. Chef de clan, « parrain » de son organisation, il a aussi des valeurs qu’il tient à maintenir, c'est-à-dire la non-ingérence dans les affaires politiques des pays. S’il choisit ici de continuer sa collaboration avec Avner, malgré le massacre de Beyrouth, c’est parce qu’il se prend d’affection pour un homme qui se bat pour sa famille (Israël), comme lui s’est battu et se bat pour la sienne.
- Yvan Attal : présence secondaire mais toutefois loin d’être anodine d’Yvan Attal, chargé lui aussi de fournir les informations à l’équipe. Pour mémoire, Yvan Attal tenait le rôle principal du film Les Patriotes, d’Eric Rochant, incarnant un jeune agent du Mossad envoyé sur le terrain pour diriger des opérations. Un rôle similaire donc pour Eric Bana ici.
- La présence féminine se fait plus discrète mais pourtant loin d’être secondaire dans l’histoire. Les femmes jouent une fois de plus des rôles très importants dans l’équilibre de l’Histoire. Lynn Cohen incarne Golda Meir, Premier Ministre de l’époque, qui autorisa l’opération Colère de Dieu, en réponse aux actes terroristes. Outre la ressemblance physique, c’est cette détermination dans le regard qui impressionne pour une femme si âgée. Marie-Josée Croze incarne une tueuse à gage indépendante, redoutable femme fatale qui tuera l’un des membres de l’équipe d’Avner. Un rôle discret mais pourtant important dans l’histoire. Robert, l’artificier, refusera de prendre part à son exécution (pour venger Carl), par peur de perdre son âme. Il perdit la vie, peut-être à cause d’une erreur de manipulation avec des explosifs. La belle Marie-Josée n’en finit plus d’illuminer nos écrans. Valeria-Bruni Tedeschi joue le rôle de la femme de Louis. Enfin Ayelet Zorer incarne la femme d’Avner, qu’il laisse enceinte de sept mois et qu’il retrouve lors de la naissance de son enfant avant de repartir et ne revenir que bien plus tard. Le point d’équilibre dans la vie d’Avner qui va l’empêcher de sombrer dans la folie et ne devenir qu’un agent sans but dans la vie.
Spielberg s’est basé sur l’œuvre Vengeance de George Jonas, écrit qui résulte notamment d’entretiens avec Avner et relate en détails cette opération Colère de Dieu. Le scénario d’Eric Roth est minutieux et ne cache pas les atours atroces du métier, comme lorsqu’Avner parle avec l’un des terroristes présumés, extrêmement diligent à son égard et sympathique. Le repentir ne suffit pas toujours à se sauver la vie. Sur cette base extrêmement solide et documentée, Spielberg réalise une œuvre épatante, dynamique, enlevée, lyrique et historique. Son sens de la narration, sans verser dans le scabreux ou le sensationnalisme, reste toujours aussi efficace. La reconstitution de la prise d’otages et de ses conséquences est extrêmement réaliste et le mélange d’images d’archives et de fiction redoutablement efficace.
Accompagné de Janusz Kaminski à la photographie, qui réalise une fois de plus un travail splendide, notamment à Paris et Athènes, et de John Williams à la musique, qui compose une splendide bande originale, qui nous rappelle ses compositions de La Liste de Schindler, dont l’intensité dramatique confèrent à la réussite des œuvres de Spielberg.
Après des œuvres relativement anecdotiques, The Terminal, Catch me if you can, Spielberg nous prouve qu’il n’a rien perdu de son talent et qu’il est toujours l’un des plus grands réalisateurs d’Hollywood.
Ce début d’année est marqué par le foisonnement d’œuvres politiques, Lord of War, Good Night, and Good Luck, Syriana…, ce qui montre bien que le cinéma américain ne se limite pas à Michael Bay et ses réalisations mégalomaniaques mais dépourvues de toute âme.
La sortie de Munich s’accompagne dans les salles françaises de la sortie du documentaire Un jour en Septembre, Oscar du meilleur documentaire en 2000, qui revient en détails sur la tragédie de Munich.
Pour plus d’informations sur Munich, vous pouvez consulter le site officiel du film ainsi que le site Special Operations qui détaille l’opération Colère de Dieu.
Munich est l’un des films incontournables de ce début d’année et restera au sommet des meilleurs films de 2006.
Arnaud Meunier
24/01/2006